Extrait du scénario :

​

SQC 1 : Int - Matin - Eglise

​

Les rayons du soleil, qui se faufilent à travers les vitraux colorés, illuminent le plafond de l’église de ses plus intenses couleurs, accompagnés par le murmure de chants religieux. Des mains viennent alors rompre cette vision pour poser le couvercle d’un cercueil sur nous, nous plongeant dans le noir et le silence.

 

PLAN NOIR.

***

SQC 2 : Int - Matin - Salle de bain

​

Dans le miroir de la salle de bain, MIREILLE s’applique délicatement du rouge sur ses lèvres déjà bien marquées par le temps. Sa main tachetée de fleurs de cimetière tremble, mais le geste est précis. Elle repose le tube, utilisé seulement pour les grandes occasions, pratiquement fini sur le bord du lavabo et s’observe. La petite dame de 76 ans décide alors d’enfiler son manteau usé sur sa grande robe à fleurs violettes et sort.

​

​

SQC 3 : Int - Matin - Salon

​

Assise dans le fauteuil en cuir recouvert d’une vieille couverture à carreaux, Mireille met péniblement ses chaussures en cuir des grandes occasions, visiblement beaucoup trop petites pour ses pieds. Un chat noir dort sur le canapé, sagement. Le salon est orné de dizaines de cadres accrochés sur tous les murs, de napperons sur les meubles en bois massif. La grande table à manger ronde est jonchée de couronnes de fleurs et de bouquets, ornées de cartes et de rubans.

 

BRUNO entre sans frapper par la porte d’entrée. Mireille sursaute.

 

BRUNO, irrité

Faut qu’on y aille M’an ! (consultant l’heure sur son smartphone)

 

MIREILLE, amère

Oui eh bien viens m’aider un peu là !

 

Le quinquagénaire bougonne mais s’agenouille pour l’aider à enfiler son deuxième pied. Mireille l’observe de haut, durement. 

 

BRUNO

Allez on y va. (l’aidant à se lever par le bras)

 

MIREILLE, tout bas

Oui, oui…

 

Bruno la tenant par le bras, ils sortent lentement de la maison.

​

​

SQC 4 : Ext - Fin de matinée - Cimetière

​

Enfonçant son petit chapeau en velour noir sur sa tête, Mireille marche lentement, accompagnée par tous ses proches habillés de noir et de gris, dont les visages sont pour la plupart dissimulés par des lunettes de soleil. Autour du cercueil, les personnes sont bouleversées. Bruno est très atteint par la mort de son père, et ne peut retenir ses larmes. Il est auprès de sa femme et de son fils ROBIN, âgé de 13 ans, reconnaissable à ses grandes lunettes rondes. Seule Mireille semble peu affectée par cet enterrement, désabusée. Elle laisse à son tour une fleur sur le cercueil avant que celui-ci ne soit placé dans le caveau familial, où le nom de Jacques Chevrier est déjà gravé dans la pierre.

​

​

SQC 5 : Ext - Soirée - Devant la maison

​

La voiture de Bruno s’arrête devant la maison de sa mère. Il attend que celle-ci descende, non sans difficulté. Elle claque la portière et se dirige en traînant des pieds vers la maison sans adresser un regard à son fils et à la voiture. Bruno, le visage éteint et les traits tirés, attend qu’elle rentre avant de redémarrer.

​

BRUNO, brayant par la fenêtre ouverte de la voiture

Je repasserai demain midi pour les papiers hein ?

 

Pas de réponse. Sa mère rentre comme si elle n’avait rien entendu, ce à quoi est habitué Bruno qui ne tarde pas à redémarrer brutalement.

​

​

SQC 6 : Int - Soirée - Salon

​

Mireille entre dans la maison et, essoufflée, se dirige droit vers son fauteuil, sur lequel elle retire avec difficulté ses chaussures qui lui meurtrissent les pieds. Elle ferme les yeux sous l’effort. Seule sa respiration agitée est audible, ainsi que le chant des oiseaux qu’on arrive à entendre par la fenêtre laissée entrouverte.

 

***

SQC 7 : Ext - Fin de journée - Jardin

​

En passant par cette même fenêtre 6 ans plus tôt, où les mêmes oiseaux chantent dans les arbres, on peut voir JACQUES jardiner avec son petit-fils, sous le regard de Mireille, qui tricote sur la balancelle. Jacques, grand passionné, porte l’attirail du jardinier : un chapeau de paille, un tablier et des sabots de jardin en caoutchouc.

 

JACQUES

Bon maintenant qu’on a mis en terre il faut arroser. Tiens mon poulet tu veux bien me ramasser le tuyau d’arrosage s’il te plaît ?

 

Robin va jusqu’au robinet qu’il ouvre et rapporte le tuyau. Il tente alors de tourner la bague du pistolet, mais la pression est tellement forte que le jet part en l’air, sans manquer d’arroser le grand-père. 

 

JACQUES, surpris

Oh la la !

 

Robin écarquille les yeux, mais la surprise est vite remplacée par les rires et l’excitation. 

 

JACQUES, grondant faussement, le sourire en coin

Et ça te fait rire ? 

 

Le petit garçon renvoie le jet vers les pieds du papi.

 

JACQUES, grommelant

Noundidiou ! Mes sabots ! Viens là que je t’attrape toi !

 

Robin tente de s’enfuir, mort de rire, mais le grand-père, le geste encore vif, attrape le tuyau et l’asperge de la tête aux pieds. Les gouttes perlent sur les lunettes rondes du garçon qui ne voit plus rien.

 

ROBIN, riant et criant

Aaaah c’est froid !

 

JACQUES

Bien fait ! Jeu de main, jeu de vilain.

 

MIREILLE, amusée mais sérieuse

Jacques !

 

JACQUES, penaud

Mais c’est lui qui a commencé…

 

MIREILLE

(À Robin) Allez viens on va te sécher avant que tu n’attrapes froid.

 

Elle pose son tricot sur le fauteuil, prend Robin par les épaules et ils se dirigent ensemble vers l’intérieur. Six ans avant l’enterrement le salon est identique ; seuls quelques cadres ou photos ne sont pas là ou sont différents. Mireille et Robin traversent le salon pour atteindre la cuisine.

 

MIREILLE

On va te sécher et après tu prendras le goûter…

 

JACQUES, jaloux, resté dans le jardin

Et moi alors, on s’en fout ?